Augmenter les salaires, ça freine les créations d'emploi ?
Présentés comme frères ennemis, le paiement du travail serait une menace pour l’emploi. A ce titre, il faudrait baisser le “coût du travail” pour embaucher et, même pour ne pas licencier...
La modération salariale n’a pas de réel effet sur l’emploi
Depuis plusieurs décennies, les gouvernements ont cédé au chantage en mettant en œuvre des politiques de réductions ou d’exonérations de cotisations, rebaptisées “charges” pour faire avaler la pilule auprès du grand public. Si le patronat abuse de ce dogme depuis des années, de nombreuses études mettent en évidence les limites des effets de la baisse du “coût du travail” sur l’emploi. Dans un rapport de 2006 sur les allégements de cotisations, la Cour des comptes reconnaissait une « certaine efficacité en termes d’augmentation nette d’emplois peu qualifiés», mais relevait qu’« il se peut que l’effet net sur l’emploi traduise plutôt un ralentissement des destructions d’emploi qu’une augmentation des créations ». Aussi, la Cour des comptes estimait que « les allégements représentent aujourd’hui un coût trop élevé », pour une «efficacité quantitative [qui] reste trop incertaine».
Le chantage à l’emploi pour imposer le moins disant social
Renvoyer dos à dos création d’emploi et salaires, c’est mettre en concurrence les travailleurs occupant un emploi à ceux qui en sont privés. C’est le sens des accords de “performance collective” autorisés par les ordonnances Macron de 2017 ou de ses prédécesseurs ( accords “compétitivité”, de ”préservation de l’emploi”, de “mobilité”). Présentés comme des remparts contre les licenciements, les salariés sont invités à faire des concessions salariales (hausse du temps de travail et baisse de la rémunération) mais sans garantie de maintien de l’emploi à terme. En cas de refus, le salarié est même remercié. Ces accords servent avant tout de levier aux entreprises pour se réorganiser et se séparer, à moindre frais, de salariés dont elles comptaient de toute façon se délester.
Une opposition qui profite d’abord aux actionnaires...
La pression sur les salaires et l’emploi sert avant tout à intensifier le travail pour dégager davantage de profits. Par exemple, après l’accord compétitivité de 2013, le constructeur automobile Renault a quasi gelé les salaires tout en supprimant plus de 8723 emplois. Résultats, les conditions de travail se sont dégradées mais les dividendes sont passés de 509 à 710 millions d’euros. Le partage de la valeur ajoutée se fait au profit des actionnaires dont la part a quasi triplé depuis 20 ans alors que celle revenant au travail a baissé.
... au détriment du bien commun
Ce détournement de la valeur ajoutée pèse sur l’ensemble de l’économie. Les promesses de ruissellement sont une chimère. Les profits d'aujourd'hui ne font pas les investissements de demain et encore moins les emplois d'après-demain. Pourtant, depuis des décennies, les politiques publiques, soit disant en faveur de l’emploi, continuent de privilégier le rétablissement des marges sans exiger de contreparties sociales. Ainsi, les entreprises du CAC 40, qui captent une grande partie des 150 milliards d’euros d’aides publiques chaque année (soit le double du budget de l’Education nationale), continuent de supprimer des emplois et à verser des dividendes.
Investir dans le travail
Il faut tirer les leçons du passé et rompre avec cette politique qui est une impasse économique et sociale. Une vraie politique en faveur de l’emploi ne met pas en concurrence les travailleurs. Les aides publiques aux entreprises concédées au nom de l’emploi doivent être réorientées, conditionnées et contrôlées en faveur du travail et de l’emploi de qualité.